"Souviens-toi que tu mourras"

Espace de réflexion en mots, en images, en silence, où l'on aborde des sujets tels que la mémoire, les traces, le passage, les cimetières, les monuments, et la mort. Parallèlement à [MEMENTO MORI] DESIGN vous trouverez des photographies prises au cours des vingt dernières années lors de déambulations dans les cimetières du monde, des réflexions, des poèmes, abordant notre rapport au temps, au sacré, aux rites, ... dans un monde où tout tourne de plus en plus vite, et où la mort est encore un tabou.

30.6.11

6.6.11

Les Éditions [MEMENTO MORI] DESIGN, livres mémoire, livres d'art et d'images, etc...

"Il avait un air improvisé, une sorte de cimetière de fortune, Pas de mausolées, pas de marbres, pas d'apparat, ne restaient que deux ou trois croix, et de rares pierres tombales arasées par l'âpreté des jours et des nuits. Apparemment, les tombes avaient été creusées à même la pierre. Quant à la terre, couverte d'une herbe qui n'avait que faire de la main de l'homme, elle était d'un vert toujours resplendissant, comme si l'on venait de la couper. Les tertres funéraires étaient à l'ombre des lauriers-roses, des yayas, des tsillandies, des cheveux-du-rois, des curajayas, ainsi que des manguiers et des goyaviers,dont ces derniers les jardiniers, par respect, ne mangeait pas les fruits- contrairement à Andréa, qui se régalait en cachette dans la peur qu'on la vît, parce qu'elle avait l'impression de commettre un délicieux sacrilège : elle les trouvaient plus doux que n'importe quel autre fruit. Elle ne confiait ce secret qu'à sa tante. Et sa tante, sans détourner les yeux de la fleur qu'elle dessinait, faisait toujours le même commentaire: - Les morts apportent de la douceur aux fruits et aux arbustes, et il est bon que tu manges les fruits édulcorés parles mort. Ce n'est nullement un manque de respect, bien au contraire, et tu ne profanes rien. Tout est en tout, ma petite Andréa, et quel plus bel hommage rendu à ces morts que de manger les fruits qu'ils adoucissent.
 Andréa adorait se promener dans le cimetière abandonné. Elle trouvait son bonheur à cueillir des mangues, des goyaves, et des prunes; à nettoyer les quelques croix et pierres tombales qui subsistaient. Elle se couchait sur la terre, à l'ombre des anones. Elle fermait les yeux. Cela lui suffisait à se sentir bénie par quelqu'un qui n'était précisément nulle part, qui l'observait et l'approuvait. Elle sentait le souffle de la brise. Elle écoutait le pépiement assourdissant des moineaux. Elle respirait l'odeur de l'herbe, des fruits qui adoucissaient l'air - qui l'"embaumaient", aurait dit la tante. Et qui continuaient à l'adoucir ou à la parfumer en même temps qu'ils pourrissaient dans la terre.
Le silence était incomparable. Un silence qui fut l'une des choses que le temps, les nouveaux temps, se chargèrent d'anéantir. Au loin, parfois, on entendait l'écho de quelques voix, celles de gamins qui cherchaient des nids, qui jouaient à la balle. Écho lointain comme venu d'un autre lieu et d'une autre époque, qui rendait plus manifeste la solitude du cimetière."
" Le navigateur endormi", Abilio Estevez, Éd. Grasset, p 71, 72, 73

déambulation, cimetière de La Havane