"Visitez, par exemple, les cimetières français d'aujourd'hui. Une vingtaine, pris au hasard, devraient suffire. Cédant le pas à la mélancolie, vous serez vite envahi par une irrépressible sensation d'absurdité. Vous ne trouverez dans votre promenade que la répétition d'objets atrophiés, qu'un seul signe reproduit à l'infini, une même et pauvre tombe fabriquée industriellement. Cette absence d'imagination statuaire semble procéder de la logique de l'habitude plutôt que d'un travail de célébration et de commémoration, d'une manie d'accumulation tournant à vide plutôt que d'une coutume vivante et vécue. Ces objets étranges paraissent avant tout éviter un effondrement: celui d'une idéologie, d'une mentalité ou d'un imaginaire.Quasi mutiques, sans imagination, les tombeaux d'aujourd'hui donnent avant tout l'impression d'afficher le désir unanime de ne plus rien dire des morts. Juste un nom et deux dates; parfois ni l'un ni l'autre. L'heure n'est-elle pas définitivement, à l'oubli et à l'abandon, à l'extermination des morts par absence de signes - dans le cimetière comme à l'extérieur? "Jean-Didier Urbain, L'archipel des morts, cimetière et mémoire en Occident, Payot, p 184-185 - cela vaut d'autant plus pour les cimetières en Amérique du Nord...